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Alexandre DUVAL-STALLA
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28 avril 2010

De Gaulle, encore et encore

De_GaulleDe Gaulle hante la France, quarante ans après sa mort. Il flotte dans les têtes. Mais reste-t-il quelque chose du gaullisme? Oui, répond Régis Debray dans sa belle préface aux Discours de guerre republiés par les Éditions Perrin: il reste un mythe. Or, chacun le sait, les mythes ont, à la longue, plus de force que les réalités. Georges Bernanos, dès 1939, l’avait annoncé: «Le monde ne sera pas demain aux réalistes, le monde sera aux mythes.»

Admiration sans dévotion, ou fascination sans illusion: telle est la relation de Régis Debray à Charles de Gaulle. Il ne fut pas gaulliste à l’époque du gaullisme. Il est gaullien, comme tant d’autres le sont devenus, pour le style donné à la «légende». Pour l’effort inouï déployé afin de maintenir l’idée que la France est demeurée grande et mérite de l’être. N’est-elle pas «éternelle»? Les magnifiques discours prononcés entre le 18 juin 1940, à Londres, et le 25 août 1944, à Paris («Paris! Paris outragé! Paris martyrisé!», etc.) sont des morceaux de bravoure constitutifs de la légende qui perdure aujourd’hui en des traces nostalgiques.

Autres temps, autres mots. Les héritiers des héritiers, disons les gaullistes de la troisième génération, qui sont aux commandes, Debray les voit dans la trivialité de leur style. Il décrit ainsi le moment de notre France: «Pour avoir mis au pouvoir les enfants de Télé 7 jours, qui ont désormais, à l’américaine, leur speech-writer attitré, nous oublions que la Résistance a porté au premier rang les enfants de la NRF». Le style, c’est l’homme même. Avec de Gaulle ainsi relu nous avons l’occasion, selon Debray, de frôler «un vestige assez touchant du dernier moment littéraire de notre histoire politique» au lieu que, désormais, «la dignité du politique et l’imparfait du subjonctif font naufrage de concert».

On peut aisément suivre Debray sur cette affaire de style, de forme. Il suffit de lire de Gaulle. Le 18 juin 1941, il dit, sur la radio de Londres: «Le 17 juin 1940 disparaissait à Bordeaux le dernier gouvernement régulier de

la France. L

’équipe mixte du défaitisme et de la trahison s’emparait du pouvoir dans un pronunciamiento de panique.» Le 15 novembre de la même année: «Nous étions une poussière d’hommes. Nous sommes maintenant un bloc inébranlable». Et encore: «Nous tenons pour nécessaire qu’une vague grondante et salubre se lève du fond de la nation et balaie les causes du désastre pêle-mêle avec l’échafaudage bâti sur

la capitulation.» Le

18 juin 1942, il se projette dans le temps de la libération: «Notre tâche finie, notre rôle effacé, après tous ceux qui l’ont servie depuis l’aurore de son histoire, avant tous ceux qui la serviront dans son éternel avenir, nous dirons à la France, simplement, comme Péguy: Mère, voyez vos fils qui se sont tant battus.» On ne discourt plus ainsi, en 2010.

Voilà pour

la forme. Et

le fond, l’idée? Cette France pour laquelle il agissait, ne la rêvait-il pas? Cette «grande puissance» dont il exaltait le rôle, les attributs bi-millénaires, méritait-elle cet excès d’honneur alors que l’indignité l’avait engloutie? Là, Régis Debray décourage la dévotion par son analyse: la résistance était le fait d’une poignée d’hommes et de femmes. C’est par «resquille anachronique» que, depuis lors, la France «voyage en première classe avec un billet de seconde». Mauriac, déjà, doutait. Debray en remet une pelletée sur la grandeur supposée par cette rhétorique: «Nous savons qu’il y a eu non pas tromperie mais erreur sur

la personne France.» Nous

sommes sortis de l’Histoire. Mais le verbe haut !

Voilà qui ne rencontrera pas l’assentiment du gaulliste historique (il en reste peu) que fut Yves Guéna. Ce jeune garçon qui s’était engagé dès le 19 juin 1940 dans les Forces françaises libres alors qu’il n’avait pas encore 18 ans est aujourd’hui un homme de 88 ans, digne, en forme, sûr de lui-même et du gaullisme. Dans le dernier volume de ses souvenirs, consacré à la période 1969-2009, il donne une des clés du gaullisme d’outre-Gaulle, pour reprendre le clin d’œil à Chateaubriand du titre de son livre. Le gaullisme, né de la rébellion et du courage, est devenu au fil des années de gestion une force d’ordre et de conservatisme.

Il ne le dit pas ainsi lui-même. On le déduit de la lecture de ses souvenirs. Contre le «désordre» à quoi il résume 1968 et les soubresauts de la société (en ce sens il était proche de De Gaulle). Il méprise l’adversaire, car il l’a souvent terrassé. Il saute aisément d’élection en élection. Périgueux fut à lui des décennies durant. Il demandera même qu’une rue porte son nom. Yves Guéna a adulé de Gaulle, aimé Pompidou, subi Giscard, détesté Mitterrand, servi Chirac et soutenu le dernier de nos princes. Rebelle, donc, mais dans l’ordre et

la discipline. Il

y a un âge pour résister, un autre où tout est bien.

http://www.la-croix.com/livres/article.jsp?docId=2423113&rubId=43500

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