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Alexandre DUVAL-STALLA
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26 août 2010

Les signaux de la ville et de la route, "matière" première de l'art moderne

En 1845, les voies ferrées entre Paris, Versailles et Saint-Germain-en-Laye ont été équipées de signaux destinés aux conducteurs des locomotives. En 1885, ces signaux ont fait l'objet d'une codification générale et ils se sont donc répandus. Plus tard, la circulation routière a déversé dans les villes et les campagnes ses flèches, disques et chiffres. Sens interdits, limitations de vitesse, feux colorés, etc.

Quel rapport entre ces données et l'art ? Très direct : ces bras articulés et ces disques ont été perçus par les peintres comme des signes du monde moderne et ils les ont introduits dans leurs oeuvres selon un principe radical propre à quelques grands artistes : "A monde nouveau, peinture nouvelle."

De cette matière première - les signes de la ville -, une exposition fait l'analyse, au musée Léger, à Biot, dans les Alpes-Maritimes : "Disques et sémaphores, le langage du signal chez Léger et ses contemporains".

En 1877, Claude Monet n'oublie aucun de ces cercles et carrés de tôle quand il procède à l'exploration picturale d'un bâtiment qui est lui-même, par sa fonction et sa structure, l'emblème de la modernité parisienne, la gare Saint-Lazare. Quelques décennies plus tard, alors que rues et routes sont équipées d'une signalétique - et bientôt bordées de panneaux publicitaires, Fernand Léger reprend à son compte l'attitude de Monet. En 1923, il remarque : "La rue moderne avec ses éléments colorés, ses lettres typographiques m'a beaucoup servi (pour moi, c'est matière première)."

L'exposition de Biot est convaincante dans sa démonstration et surprenante par la qualité des oeuvres. Concernant Léger, le Musée d'art moderne de New York a prêté La Ville (1919) qui est l'un des chefs-d'oeuvre du XXe siècle, le Musée Thyssen-Bornemisza, à Madrid, une Composition au disque (1918) d'une pureté parfaite, et un collectionneur privé le méconnu Chauffeur nègre (1919).

Un chapitre est consacré aux signaux observés par les photographes, Man Ray, Ergy Landau, Raoul Haussmann et Brassaï, et un autre aux connivences entre abstraction géométrique et signalétique urbaine - Robert Delaunay, Ivan Puni, Laszlo Moholy-Nagy, le Bauhaus. L'étude s'avance jusqu'aux années 1950 et à Nicolas Schöffer.

Le seul reproche que l'on puisse faire est de ne pas pousser plus avant dans le siècle, jusqu'à Jean-Pierre Raynaud, qui a fait des cercles rouges "sens interdit" l'un de ses objets fétiches. La part faite aux Delaunay aurait aussi pu être plus large, mais il n'est pas facile d'obtenir le prêt de L'Equipe de Cardiff ou L'Hommage à Blériot.

GÉOMÉTRIE COLORÉE

L'idée centrale n'en est pas moins nettement énoncée. Un signe ferroviaire ou routier est une géométrie colorée dressée en plein air et, en cela, il introduit de l'abstraction dans la nature. Un photographe ou un peintre peut obtenir une composition de lignes et plans purement géométrique à partir d'un motif pris dans la réalité, s'il l'isole. Il n'y a pas opposition entre abstraction et figuration, mais des corrélations subtiles de complémentarité puisque le monde moderne ne peut être figuré sans ces signaux.

L'abstraction géométrique doit ainsi être considérée comme un mode de figuration et de désignation du réel moderne, accessible à tous puisque fondé sur un langage universel - l'alphabet des signaux. Il suffit de quelques mètres sur une route pour vérifier que Léger avait raison. Telle est désormais notre "matière première".

Source : Philippe Daguen Le Monde (http://www.lemonde.fr/culture/article/2010/08/25/les-signaux-de-la-ville-et-de-la-route-matiere-premiere-de-l-art-moderne_1402551_3246.html)

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