Ce que nous devons à Claude Monet
Alors que s’ouvre la plus grande rétrospective depuis 30
ans consacrée au chef de file des Impressionnistes, Claude Monet, sans doute
est-il nécessaire de rappeler qu’il n’est pas simplement un peintre de nymphéas
et de paysages bucoliques, mais un exceptionnel caractère de bruits et de
fureurs qui a réalisé une triple révolution esthétique, artistique et
culturelle.
Contre les pesanteurs d’un conservatisme esthétique
exigeant des scènes antiques et historiques où chaque modèle avait les traits
les plus parfaits et les plus soignés, Claude Monet a lutté. Imposant ses coups
de peinture comme autant de soufflets envoyés à ses détracteurs, prenant la
nature et la vie comme modèle et, faisant de ses impressions et de ses
sensations, la mesure de sa peinture, Monet et ses amis ont réalisé une
nouvelle Renaissance, française celle-là ; comme le soulignait à juste
titre Apollinaire : « La France a
produit au XIX° siècle les mouvements artistiques les plus variés et les plus
nouveaux, qui, tous ensemble, constituent l’impressionnisme. Cette tendance est
le contrepoint de l’ancienne peinture italienne basée sur la perspective. Si
Pour comprendre la révolution esthétique que fut l’Impressionnisme,
il faut se rappeler que dans les années 1860, la peinture française s’était
éteinte, comme Renoir en témoigne : « A part les Delacroix, les Ingres, les Courbet, les Corot qui avaient
poussé miraculeusement après la Révolution, la peinture était tombée dans la
pire banalité : tous se copiaient les uns les autres en se fichant de la
nature comme d’une pomme[2]. »
Avec leur esthétisme, Monet et ses amis ouvrent les voies infinies de la
peinture moderne. C’est quand le sujet
change que dans l’histoire de l’art se produisent les grandes ruptures
esthétiques qui conduisent à de nouvelles écoles. De nouveau, le regard se
porte sur le sujet, qu’avant le regard ne voyait plus.
En frondant contre le Salon, seul lieu permettant de se
faire connaître et de vendre, en s’affranchissant des commandes de l’Etat et de
ses honneurs, Monet a initié des nouvelles formes de circuit de vente avec les
marchands d’arts et leurs galeries, avec notamment Paul Durand-Ruel. Avec cette
ouverture sur la vie moderne et un accès à une nouvelle classe sociale qui
voulait aussi partager cette aventure, Monet et les siens ont initié les formes
modernes et actuelles du marché de l’art. Ouvrant à tous sa peinture, Monet l’a
ainsi démocratisé.
Et Clemenceau, son vieil ami, de témoigner de ce que Monet
fut un homme de combats, de convictions et de génie : « L’artiste a vécu un moment supérieur de
l’art et, par la même, de la vie, mais c’est l’être humain que je cherche
au-delà de l’artiste, l’homme qui, livré tout entier à ses impulsions les plus
hautes, a osé regarder en face les problèmes de l’univers pour les aborder
ensemble et les fondre dans le boc esthétique d’une sensibilité affirmée, sous
l’impulsion d’une énergie de vouloir que rien n’a pu faire dévier, je prends le
ciel à témoin qu’un tel accomplissement n’est pas de l’ordinaire. »
[1] Cité
in Augustin de Butler, Lumières sur les impressionnistes, L’échoppe, 2007, p.
11-12.
[2] Cité
in Augustin de Butler, Lumières sur les impressionnistes, L’échoppe, 2007, p. 9.